Il est interdit d’enfermer les oiseaux en cage

Photographie, impression inkjet et peinture acrylique sur papier Hahnemühle Photo Rag 308 gr, 100 x 75 cm,
série de portraits de combattants Taliban d’une part et ensuite de personnes victimes de ce régime.
Afghanistan, 2021 - (projet en cours)

15 août 2021, Kaboul tombe aux mains des Talibans, le pays s’écroule. Les Américains retranchés dans l’aéroport tententd’évacuer un maximum de personnes, c’est la fin d’une guerre de 20 ans. C’est la fin d’un monde, la fin de « la toute puissance américaine ».

Faisant partie de cette génération dont l’entrée dans l’âge adulte a été marquée par la tragédie des attentats du 11 septembre 2001et des guerres qui ont suivi, cet évènement me paraît d’autant plus marquant qu’il semble clôturer cette doctrine post 11 septembre de la « guerre contre le terrorisme » instaurée par G. W. Bush qui régissait en grande partie l’ordre de la géopolitique mondiale à travers les théories d’Huntington revisitées par les faucons américains.

Lorsque je me suis rendu en Afghanistan pour la première fois en 2004, je me suis réjouis du départ des taliban et des libertés enfin offertes aux afghans et afghanes. Et puis, progressivement, au fil des ans et de mes séjours sur place, j’ai peu à peu déchanté face à ce pouvoir afghan devenu une marionnette de Washington, face à ce pouvoir se transformant en kleptocratie.

J’ai vu les opinions changer, notamment dans les campagnes et au sein des classes populaires.
Alors que j’enseignais à de jeunes artistes afghans à Kaboul, je me rappelle des discussions que nous avions.

Je me rappelle de personnes farouchement anti-talibanes qui se mettaient à avoir de plus en plus de sympathie pour eux.
Les talibans ont su profiter de ce mécontentement : à la fois de la présence militaire étrangère et de la corruption.

Ils se présentèrent comme la seule alternative pour faire partir cette armée étrangère et lutter contre cette corruption, tout en laissant une certaine liberté aux populations sous leur contrôle. En octobre 2021, quelques semaines après le retour au pouvoir des taliban, alors que j’étais en Afghanistan, j’ai pu échanger avec de nombreux combattants taliban.

Beaucoup m’expliquaient qu’ils trouvaient l’idéologie talibane des années 90 absurde et qu’ils ne la partageaient pas. Que s’ils avaient rejoint les taliban, c’était pour chasser cette armée étrangère et reprendre le contrôle de leur pays.

Les dirigeants taliban eux-mêmes expliquaient qu’ils n’étaient plus du tout les mêmes que lors des années 90.
À cette période, j’ai voulu y croire et laisser la parole à ces combattants taliban pour essayer de mieux les comprendre. Pour tenter de les faire sortir de toute idéologie, ou du moins de toute pression, je leur ai demandé de me raconter leur monde rêvé.

Et puis, les mois ont passé. Alors qu’au début les femmes pouvaient toujours travailler ou aller à l’université, qu’elles n’étaient pas obligées de porter une burqa, que les voix dissidentes étaient tolérées, peu à peu les règles sont devenues de plus en plus restrictives pour finalement revenir au premier modèle du régime taliban.

L’Afghanistan est redevenu cet état régi par un totalitarisme théocratique.

Malgré un certain malaise, j’ai choisi de garder ces portraits qui racontent qui sont ces combattants Taliban au moment de leur arrivée au pouvoir à l’automne 2021 mais j’ai également choisi de m’intéresser avec le même procédé à celles et ceux qui sont devenus les victimes de ce régime (travail en cours).

Les peintures entourant les portraits reflètent le rêve individuel de chaque personne photographiée. Elles sont réalisées par des peintres de camions locaux. La tradition de peinture sur camion propre au sud de l’Afghanistan et aux zones tribales pakistanaisesremonte à plus de 100 ans et est fortement influencée par la miniature persane, elle a réussi à perdurer malgré le caractère iconoclaste du 1er et du 2e régime taliban. Elles deviennent ainsi une des seules représentations figuratives encore visible dans l’Afghanistan des Talibans, tel un acte de résistance d’une culture qui refuse de disparaitre.

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